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Face à la précarité alimentaire, quel rôle peut jouer la restauration collective ?

cuire et la portion de nourriture sur un plateau

En France, la précarité alimentaire atteint un niveau inédit. Elle concerne désormais 37% de Français.es, contre 11% en 20251. Elle touche les seniors et les enfants, les actifs comme les étudiants. Au cœur de notre société, la restauration collective s’adresse de son côté aux publics des établissements scolaires, des entreprises, des établissements de soin, des administrations, des maisons de retraite, des crèches… En France, elle assure 50% des repas pris hors domicile2, soit 7 millions de repas par jour3.

Quel rôle peut-elle jouer dans la lutte contre la précarité alimentaire ?

Nous avons posé la question à Laurent Terrasson, directeur de publication du magazine L’Autre Cuisine, membre fondateur de l’association Cantines Responsables et membre du Conseil d’Administration de la Fondation Nestlé France.

Premier levier : sa fonction sociale

C’est sa mission fondamentale : proposer à ses convives des repas équilibrés et sains, souvent à des prix inférieurs au coût réel des repas. La restauration collective assure ainsi l’accès à une alimentation de qualité pour un très grand nombre de personnes, au quotidien. Cette fonction sociale est bien comprise par de nombreuses collectivités, chargées de la restauration scolaire, qui proposent des prix échelonnés selon les revenus voire, comme à Saint-Denis (93), la gratuité pour tous. Laurent Terrasson va plus loin encore : « Nous oublions souvent la chance que nous avons d’avoir ce service de restauration collective dans notre pays. Il me semble que son rôle est appelé à s’amplifier car elle a nombre d’atouts à sa disposition qui permettent d’agir sur l’accès et l’acculturation à une alimentation de qualité, entre autres, qui sont essentiels dans la lutte contre la précarité alimentaire. Les cantines scolaires, par exemple, sont un formidable levier de sensibilisation au sujet de l’alimentation durable et sont dans le même temps un espace de lien social. Or, le « manger ensemble » est un aspect clé dans la lutte contre la précarité alimentaire ! ». Un autre point clé évoqué est l’implication des cuisiniers, dont certains s’engagent sur les réseaux sociaux pour donner à voir leur métier, leur passion, leur pratique mais aussi des personnels de cantine – Guillaume le cantinier en est un exemple connu. Selon Laurent Terrasson, sortir de l’ombre ces acteurs afin de favoriser un lien direct avec les enfants autour des questions d’équilibre alimentaire, de goût, de découverte, est une pratique qui gagnerait à être développée – par exemple sur le modèle du programme VIF®- Vivons en Forme - dont les résultats sont très encourageants.

Le programme VIF® : intégrer les personnels de cantine pour améliorer les habitudes alimentaires des enfants

Le programme VIF®, soutenu par Nestlé France et sa Fondation depuis plus de 30 ans, vise à faire reculer la prévalence de surpoids et d’obésité des enfants en faisant évoluer progressivement et durablement les comportements et les habitudes. Une des particularités du programme est la mobilisation de l’ensemble des acteurs de proximité dans l’environnement des enfants et des familles. Parmi les nombreuses thématiques abordées, la thématique des rythmes alimentaires, sur laquelle les personnels de cantine sont directement impliqués pour intervenir auprès des enfants. Une méthodologie et qui a fait ses preuves, les villes VIF® enregistrant un net repli de la prévalence du surpoids et de l’obésité chez les enfants de la tranche d’âge maternelle-CM2, au contraire des moyennes nationales. Une étude publiée en 2020 dans la revue BMC Public Health a ainsi montré que 50% des enfants en surpoids/obèses ayant bénéficié des actions du programme VIF® ont amélioré leur statut pondéral4.

Pour la Fondation Nestlé France, la dimension de lien social revêt une importance fondamentale. Car lutter contre la précarité alimentaire, c’est aussi s’appuyer sur la puissance de la convivialité. À la « cantoche », on partage plus qu’un repas. Ce sont des moments collectifs, d’échanges, qui génèrent du plaisir et jouent un rôle non négligeable dans la découverte et l’appropriation d’habitudes alimentaires saines. Dans les lieux destinés à apporter une aide aux publics précaires, cette dimension conviviale s’avère un ressort dans l’adhésion à de nouvelles habitudes alimentaires. C’est l’un des enseignements d’un projet soutenu depuis 2021 par la Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement d’Île-de-France. Portée par l’association Cantines Responsables et l’Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa), dans le cadre du Plan France Relance 5, l’initiative consistait à produire des repas au sein des infrastructures de restauration collective et de les distribuer à des personnes en situation de précarité, sur quatre territoires franciliens. Or, les témoignages recueillis sont éclairants : pour les bénéficiaires du dispositif, le fait de partager un repas à plusieurs était l’un des principaux moteurs de leur venue.

Second levier : sa capacité à proposer une alimentation durable au plus grand nombre. Depuis l’adoption de la loi Egalim, en 2018, c’est une obligation pour la restauration collective. Les cantines scolaires, de la maternelle à la terminale, doivent ainsi proposer au moins un repas végétarien par semaine. Comme l’indique Laurent Terrasson, « si tous les enfants goûtent des menus végétariens et que cela s’accompagne d’un éveil et d’une sensibilisation à l’importance d’une alimentation durable, d’échanges autour de ce que cela implique, l’accès à une telle alimentation s’en trouve nécessairement renforcé. ». De nombreux acteurs de la restauration collective s’engagent ainsi sur ces sujets. Leur force réside dans leur agilité et leur capacité à mener des expérimentations, à mener des recherches sur des sites pilotes. C’est notamment le cas du restaurant universitaire du CROUS de Dijon qui a volontairement doublé son offre végétarienne au début de l’année 2024 et a confié l’analyse de ce changement à une équipe de chercheurs de l’Inrae6 (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Leurs conclusions mettent en valeur la notion de plaisir, puisqu’il s’avère que les étudiants ont plus souvent choisi les plats végétariens et ont été très satisfaits de leur qualité gustative. Alors qu’on associe parfois alimentation durable – donc plus végétale – au manque de saveur, à un surcoût, ou à une complexité de préparation, l’étude nuance fortement ces a priori. Or, il est tout à fait possible de combiner repas végétariens et maîtrise des coûts. En donnant à ses convives les clés pour adopter une alimentation à la fois plus durable, moins coûteuse et de qualité, la restauration collective joue, là encore, un rôle clé.

Troisième levier : la possibilité de travailler directement avec des acteurs de l’aide alimentaire. Laurent Terrasson rappelle que sur ce point, même si les freins sont encore nombreux, le potentiel est vaste. La France, rappelle-t-il, « dispose de près de 55 000 lieux de production de restauration collective. Si on développe des possibilités pour que ces lieux produisent davantage de repas chaque jour afin qu’ils soient distribués, à un prix réduit, à des personnes en situation de précarité – seniors, familles, étudiants - nous aurions la possibilité d’étendre la portée de ce service. Que ce soit en ouvrant ses portes sur des horaires plus vastes ou bien en les mettant en lien avec les acteurs de l’aide alimentaire ou les acteurs sociaux du territoire. » Des initiatives intéressantes se développent à l’échelle des territoires, comme celle portée par l’Ansa et Cantines Responsables, évoquée plus haut. Concrètement, des partenariats locaux ont été montés entre sites de restauration collective et lieux d’aide alimentaire. Pour les parties prenantes de cette expérimentation, les résultats sont très encourageants : le taux de satisfaction des usagers dépasse les 80%, leur alimentation est améliorée tant du point de vue de la diversité que de la qualité, et les structures à l’initiatives réalisent des économies substantielles.

Donner accès au plus grand nombre à une alimentation de qualité, durable, à moindre coût, dans un cadre favorisant la convivialité : la restauration collective a de belles cartes en main pour agir contre la précarité alimentaire.


1 Observatoire des Vulnérabilités Alimentaires (2023) – Cways pour Fondation Nestlé France
2 SNRC (2021) https://www.snrc.fr/wp-content/uploads/2021/11/SNRC-Brochure.pdf
3 ADEME https://economie-circulaire.ademe.fr/restauration-collective#qu%E2%80%99est-ce-que-la-restauration-collective- 
4 Constant, A. et al. Locally implemented prevention programs may reverse weight trajectories in half of children with overweight/obesity amid low child-staff ratios: results from a quasi-experimental study in France. BMC Public Health 20, 941 (2020). https://doi.org/10.1186/s12889-020-09080-y.
5 « Mobiliser les services de restauration collective pour lutter contre la précarité alimentaire », Agence nouvelle des solidarités actives, Cantines responsables, Synthèse projet, mai 2023.https://www.solidaritesactives.com/sites/default/files/2023-05/Synthese_Rapport_ProjetRestauCo_2023_num%C3%A9rique.pdf
6 Arrazat, L., Cambriels, C., Noan, C.L. et al. Effects of increasing the availability of vegetarian options on main meal choices, meal offer satisfaction and liking: a pre-post analysis in a French university cafeteria. International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity 21, 75 (2024) - https://ijbnpa.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12966-024-01624-4